LITURGIE
du DIMANCHE
commentaire sur la Parole
Un
chemin sur les eaux
Lectures bibliques 1
R 19,9a-11-13a |
À
la multiplication des pains (cf. dimanche dernier), la tradition évangélique
rapproche le miracle de Jésus qui marche sur les eaux. L’objectif théologique
est clair : celui qui a rassasié Israël dans le désert, ouvre aussi
un chemin à son peuple dans la mer (cf. Ps 77,20). C’est ainsi que les
antiques prodiges trouvent un accomplissement parfait en Jésus. Que
Jésus marche sur les eaux (aspect repris 4 fois dans notre récit) signifie
qu’il a vaincu la mort et qu’il a pouvoir sur ses effets dévastateurs
: la souffrance, la peur, l’angoisse et la terreur. Mais le centre du
passage domine la révélation qu’il fait de lui-même : «Confiance! C’est
moi; n’ayez pas peur! » (Mt 14,26). Comme nous le savons, l’expression
« c’est moi » reprend la révélation de Dieu au buisson (cf. Ex 3,14).
La première lecture nous parle aussi de révélation où le prophète Élie
perçoit la présence de Dieu dans le murmure d’une brise légère. Quant
à l’apôtre Paul, il présente le mystère d’Israël, peuple auquel les
promesses ont été faites mais qui, inexplicablement, s’est fermé à la
révélation du Christ, et qu’il célèbre dans la doxologie finale comme
Dieu béni éternellement.
Dans l’Évangile de Matthieu, il y a trois scènes où Jésus est dans la
barque (symbole de la communauté chrétienne) avec ses disciples. Ce
sont trois scènes de “tempête” qui mettent en évidence la crise interne
de la communauté croyante. Dans la première (cf. Mt 8,23-27), Jésus
est avec les siens mais il dort; dans la deuxième (cf. Mt 14,22-33),
Jésus est encore présent parmi les siens, non pas comme avant, mais
à travers sa parole et le pain de vie qui devraient soutenir les croyants
dans les difficultés de l’histoire. Dans la troisième scène (cf. Mt
16,5-12), Jésus adresse des reproches à ses disciples parce qu’ils n’ont
pas encore le levain évangélique mais celui des pharisiens et des sadducéens.
Par conséquent, ils ne comprennent pas la valeur du pain qu’il a donné.
Si la première scène nous renvoie au temps de Jésus, alors qu’il était
avec les disciples (Jésus historique), la deuxième correspond au temps
de l’Église où il est présent sacramentellement; la troisième scène
dévoile le motif de l’incrédulité d’hier et d’aujourd’hui, les difficultés
que nous avons à le reconnaître : les “levains” qui conditionnent notre
intelligence et notre cœur. Levains qui, si nous ne sommes pas attentifs,
font de Jésus une réalité évanescente, un fantôme, et certainement pas
le Seigneur de la vie (« C’est moi! »)
Nous pouvons diviser la péricope évangélique en quatre unités : Jésus
qui, au début, se sépare des disciples (v. 22-24); puis, sa venue et
sa manifestation (v. 25-27); et en troisième instance, Jésus qui appelle
Pierre à marcher sur les eaux (v. 28-32); à la fin, la profession de
foi des disciples (v. 33). Après la multiplication des pains, Jésus
se retire seul dans la montagne pour prier. Pourquoi? Les réponses possibles
sont nombreuses. Le retrait dans le silence répond à un but précis.
Oui, il a rassasié le peuple avec le pain, accomplissant ainsi un signe
messianique. Mais, attention! Son messianisme n’avance pas dans la direction
de la gloire mais de l’humiliation, dans la direction de la puissance
mais de la volonté de Dieu. Par conséquent, Jésus amortit tout enthousiasme
facile et s’en remet à la logique du Père (celle de la croix). Le signe
de son retrait dans le silence succède donc au signe du pain. Cela déconcerte
les siens; de plus, la barque est agitée par les vagues, et le vent
est contraire. Mais Jésus offre un troisième signe; à la quatrième veille
de la nuit (entre trois et six heures du matin), il se manifeste aux
disciples en marchant vers eux sur les eaux de la mer. Il est le Kyrios,
vainqueur de la mort, dont la présence dissipe toutes les ténèbres.
G. Gaide a écrit : « Ce n’est peut être pas par hasard que la multiplication
des pains suit immédiatement l’épisode de Jésus qui marche sur les eaux,
tout comme l’agonie suit l’institution de l’Eucharistie : la multiplication
des pains préfigure l’Eucharistie, nourriture pour l’homme qui marche
dans la nuit de la foi ». S’il
est vrai que l’apparition de Jésus est salvifique, la preuve la plus
évidente, c’est que la personne même est sauvée. Dans cet horizon, nous
comprenons la demande de Pierre : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi
de venir à toi sur les eaux » (Mt 14,28). Une demande remplie de doute
(« si c’est bien toi »), mais qui trouve une réponse affirmative en
Jésus qui l’invite : « Viens! ». Et Pierre fait effectivement ce que
Jésus a fait, mais il doit garder le regard sur le Maître, autrement,
comme ça arrive, il s’enfonce dans ses peurs. D’où le cri : « Seigneur,
sauve-moi! ». Et Jésus tend la main en même temps qu’il reproche à Pierre
son peu de foi : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? » (Mt
14,31). Pierre a vraiment peu de foi, non seulement, mais sa foi est
aussi remplie de doute au point de se manifester comme incrédulité.
Il y a un fait significatif : c’est justement Pierre qui a été choisi
par Jésus comme roc de l’Église. Qu’est-ce à dire? Ce qui fera de Pierre
un roc, ce ne sera pas tant la solidité de sa foi que l’élection du
Seigneur. Mais un autre aspect émerge de l’épisode. Lorsque Jésus appelle
Pierre, ce dernier avance décidemment sur l’eau; à ce moment-là, son
peu de foi est occulté; lorsque, au contraire, le vent et les vagues
l’investissent, son peu de foi se manifeste. Oui, la foi du chrétien
est toujours faible, mais elle renferme une grande possibilité, comme
le petit grain de sénevé. Comme nous l’avons souligné, il suffit de
s’ouvrir à l’invocation et à la main que le Christ tend toujours à ses
disciples. |