LITURGIE
du DIMANCHE
commentaire sur la Parole
Même
les étrangers
Lectures bibliques Is
56,1.6-7 |
L’universalité
du salut est le thème de la liturgie d’aujourd’hui. Isaïe affirme que
même les étrangers seront comblés de joie dans la maison de Dieu (cf.
première lecture), tandis que Jésus fait l’éloge de la foi d’une païenne,
la Cananéenne (cf. Évangile). De son côté, Paul (cf. Rm 11), en affrontant
le nœud de la question judaïque, célèbre, même indirectement, le dessein
universel du salut qui, à partir d’Abraham, s’étend à tous les peuples
de la terre. Toutefois, le parcours n’est ni simple ni sûr; en effet,
il faut passer à travers quelques problématiques. Isaïe, qui préconise
le Temple comme maison des peuples, exige qu’on observe le Sabbat ou
bien qu’on s’en tienne au patrimoine de foi d’Israël. Dans son dialogue
avec la Cananéenne, Jésus lui-même s’en tient aux canons judaïques.
Le salut est offert in primis aux fils (les Juifs), ensuite aux petits
chiens (les païens). Paul, qui arrivera à dire que le Christ est le
serviteur des circoncis (cf. Rm 15,8), reconnaît que la racine qui soutient
l’Église est hébraïque (cf. Rm 11, l’image de l’olivier). En résumé,
d’une part, l’Église doit demeurer accrochée à ses propres racines et,
en même temps, demeurer ouverte à chaque créature sans discriminations
de culture, de race ou de religion ou bien elle doit s’approprier le
dessein universel du salut sans céder à la tentation de renier ses propres
valeurs au nom d’un syncrétisme indifférencié.
Le récit évangélique présente deux mondes culturels
et religieux différents. Nous avons une femme, grecque par sa langue;
par son origine, venue de la région de Tyr et de Sidon; et descendante
des populations qui habitaient Canaan depuis des temps immémoriaux.
Puis, il y a Jésus qui, sur les routes de la Judée et de la Galilée,
annonce l’avènement du Royaume de Dieu. Mais si nous nous rapprochons
des deux protagonistes principaux, nous découvrons d’autres éléments
intéressants. La femme est avant tout une mère accablée. En effet, sa
fille est gravement malade. Lorsqu’une mère souffre pour son enfant,
elle est disposée à tout, peu importe que Jésus soit un étranger, et
de religion juive : elle fait tout pour sauver sa fille. Elle n’est
pas une femme dépourvue. Cependant, si elle appelle Jésus, fils de David;
dans la trame narrative, elle se révèle, résolue et courageuse. En outre,
elle ne craint pas le silence du Maître; au contraire, elle le soutient,
convaincue que derrière des apparences si dures, il y a une compassion
que les attitudes et les paroles semblent nier. Mais, fait vraiment
incroyable, cette femme païenne a quelque chose à enseigner à Jésus
: l’universalité de sa mission. Oui, cette femme aide Jésus, doucement
et fermement, à ne pas s’enfermer derrière des barrières ethniques ou
théologiques en tant qu’il est venu pour tous, n’excluant personne;
même pour les petits chiens (animaux impurs). La Cananéenne ne prétend
rien, rien de plus que les miettes. Sachant qu’elles lui appartiennent,
elle prétend résolument les avoir. Jésus est en admiration et il affirme
que sa foi est grande contrairement au peu de foi des disciples (cf.
Mt 8,26). Et c’est grâce à cette foi que plusieurs viendront de l’Orient
et de l’Occident et prendront place à la table de Dieu pour manger le
pain du Royaume (cf. Mt 8,11; Lc 14,15). Au même moment, le miracle
se produit, la fille est guérie.
La foi nourrit; elle donne accès au pain des enfants
aussi bien pour le peuple ancien que pour les païens. Cet aspect est
très important si nous pensons que Matthieu écrit pour une Église judéo-chrétienne
qui avait du mal à admettre, dans ses files, les païens convertis. C’est
la foi en Jésus Christ qui est la seule demande licite et juste, pas
tellement l’observance de la Loi mosaïque. Mais ce n’est pas tout. Une
leçon missionnaire émerge aussi de notre épisode : Jésus est certainement
le Messie d’Israël; toutefois, il a été ouvert à ceux qui ont cru en
lui. Alors, l’Église peut-elle fermer ses portes à ceux qui désirent
se convertir à l’Évangile? L’Église peut-elle empêcher ou mettre des
limites au rayonnement du Royaume? Ce serait un contre-sens et manquer
à son identité et à sa vocation. Avec cet épisode, Matthieu met également
en évidence une considération exprimée maintes fois au cours de sa narration
: il arrive souvent qu’on trouve plus de foi parmi ceux qui semblent
païens qu’au sein de la communauté croyante même. Par exemple, les Mages
sont venus de loin pour adorer le roi d’Israël, nouveau-né (cf. Mt 2);
un centurion païen (cf. Mt 8,10) et même les ninivites se sont révélés
plus disponibles que « cette génération », d’affirmer Jésus (cf. Mt
12,39s). L’Église doit donc veiller contre l’auto-sécurité religieuse
et vérifier son intérieur avant de s’engager sur les chemins de l’annonce.
L’annonce authentique jaillit du témoignage.
Nous avons vu comment Jésus a fait l’éloge de
l’audace de la Cananéenne. Dans ce dialogue serré, il a revu sa position
théologique : sa mission ne s’adresse pas seulement à la Maison d’Israël
mais au monde entier. Jésus est vraiment un Maître singulier, non seulement
parce qu’il est ouvert à toutes les catégories sociales mais aussi parce
qu’il rencontre, dialogue et apprend, même des femmes. Et cela surprend
quand nous savons que, dans la culture du temps, la femme n’était nullement
considérée. Au contraire, il existait un courant rabbinique qui soutenait
qu’il était préférable de brûler la Torah plutôt que de l’enseigner
à une femme. Jésus confirme cette position au point d’appeler quelques
femmes à sa suite (cf. Lc 8,2). Donc, Jésus a appris des femmes, et
entre toutes, de sa Mère. Nous ne savons pas comment Marie a éduqué
Jésus; toutefois, la spiritualité du Maître est le reflet de celle de
sa Mère. Un jour, il racontera les paraboles de la femme qui mélange
le levain aux trois mesures de farine, ou encore, de la femme qui balaie
toute la maison pour retrouver la monnaie perdue (cf. Mt 13,33; Lc 15,
8-10). À l’école du Magnificat de Marie (cf. Lc 1,50.54), il a ensuite
compris la valeur de la miséricorde au point d’en faire le fil conducteur
de son ministère (cf. Mt 9,13). Voilà qui était Jésus de Nazareth! |