LITURGIE
du DIMANCHE
commentaire sur la Parole
La
pierre et les clés
Lectures bibliques Is
22,19-23 |
«
Ta voix a pu m’attendrir / ta présence, me retenir, / et ton respect,
m’émouvoir. / Qui es-tu? » - ce sont des vers de Pedro Calderon de la
Barca (1600-1681) qui, devant le Christ qui s’était révélé à lui, pose
la question, la grande question que chacun de nous doit adresser au
Christ : « Qui es-tu? ». Et c’est sur cette question que l’Évangile
d’aujourd’hui veut nous conduire : « Qui est Jésus? ». Pour y répondre
correctement, nous devons éviter deux erreurs. La première : répondre
d’une manière théologiquement correcte, mais sans aucune implication
personnelle; la deuxième, comme la foule de l’Évangile, recourir à des
schémas d’interprétation déjà connus (pour la foule, comme nous le verrons,
Jésus est le Baptiste, Jérémie ou Élie). Mais le fait de recourir à
ce qui est déjà connu risque de voiler l’originalité du Maître. Il faut
ajouter aussi que la page évangélique d’aujourd’hui n’est pas simple
à lire. Nous avons des problèmes littéraires sur l’authenticité jésuitique
de l’Évangile de la primauté (cf. v. 18-19); nous avons des problèmes
exégétiques concernant les images que Jésus utilise : la pierre, les
clés et le binôme lier et délier; enfin, nous avons des problèmes théologiques
entre l’ecclésiologie de Matthieu et celle de Paul qui voit Jésus Christ
comme unique fondement de l’Église (cf. 1 Co 3,11). Laissant les développements
éventuels à nos lecteurs, nous porterons notre attention sur les deux
questions que Jésus pose à ses disciples sur son identité et mission.
À la demande de Jésus sur l’opinion que les gens ont de lui, les disciples
reflètent une difficulté que nous vivons encore aujourd’hui : ne pas
reconnaître le Maître pour ce qu’il est vraiment. Pour certains, Jésus
est identifié à Jean Baptiste, le grand précurseur et ascète, l’homme
au profil moral élevé et cohérent. Or, Jésus a certainement été un grand
ascète ainsi qu’un Maître qui a fondé son enseignement sur la justice.
Même si ces deux aspects sont importants, ils ne disent pas encore tout
de lui. Il n’a pas dédaigné de s’asseoir à table avec des pécheurs publics
et, en ce qui concerne la justice divine, il a révélé qu’elle trouve
sa plénitude dans la miséricorde. Jésus n’est pas Jean Baptiste. Élie,
le grand prophète, qui a lutté contre toute forme d’idolâtrie et de
syncrétisme, a eu un zèle tellement radical pour le rétablissement de
la pureté de la foi, qu’il est arrivé à tuer cinq cents prêtres de Baal.
Jésus, qui est le plus grand prophète, se distingue d’Élie parce qu’il
n’a jamais voulu anéantir personne. Au contraire, il s’est anéanti par
amour. Jésus n’est pas Élie. Enfin, Jérémie est l’icône de l’homme juste
qui souffre. Jésus aussi a parcouru le chemin de la souffrance mais
il ne l’a jamais glorifiée. Jésus n’est pas venu pour nous enseigner
la résignation à la souffrance et au mal mais pour nous indiquer le
chemin de leur rachat et dépassement. Jésus a indiqué aux hommes le
chemin de la béatitude et de la paix. Jésus n’est pas Jérémie.
Si tous avaient répondu à la première demande; à la deuxième, plus directe,
« pour vous, qui suis-je? », seul Simon Pierre répond en affirmant :
« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Qui est Jésus?
Le Messie libérateur, celui qui conduit à la liberté; le Fils du Dieu
vivant, c.-à-d. du Dieu qui vit et crée, qui agit dans l’histoire en
la guidant à des fins de salut; le Dieu qui a ressuscité Jésus (la formule
reprend sans doute une conviction de l’Église de Matthieu). La profession
de foi pétrinienne est donc complète. À noter que ces paroles reviendront
sur les lèvres du Grand Prêtre durant la Passion (cf. Mt 26,63). Devant
la confession de Pierre, Jésus affirme trois choses; d’abord, il le
proclame heureux (v. 17) parce qu’objet d’une révélation particulière
du Père, promesse faite antécédemment aux petits (cf. Mt 11,25). Ensuite,
il formule une promesse : Simon sera la pierre de fondation de l’édifice
de l’Église, comme Abraham a été le roc dont Israël est sorti (cf. Is
51,1-2). Et, pour poursuivre la comparaison, comme Abram est devenu
Abraham (cf. Gn 17,5), de même, maintenant, Simon devient Pierre. Puis,
Jésus confère à Pierre une autorité au sein de la communauté chrétienne
(les clés). Lier-délier sont à la fin le symbole juridique que le pouvoir
des clés concrétise. Que signifie lier-délier? Cela signifie interpréter
l’Évangile dans les différents contextes de l’histoire, admettre ou
exclure, même de la communauté chrétienne, déclarer avec autorité ce
qui est conforme ou non au Christ. L’autorité que Jésus confère à Pierre est indéniable. Mais il faut apporter quelques précisions. •
Le choix gratuit de Jésus. Pierre n’a pas de mérites particuliers; il
n’est pas un héros de la foi, et pourtant Jésus le choisit afin qu’il
puisse confirmer ses frères. Alexandre
C. osb |