LITURGIE
du DIMANCHE
commentaire sur la Parole
Le crucifié exalté
Lectures bibliques Nb
21,4b-9 |
Aujourd’hui,
nous célébrons la fête de l’Exaltation de la Croix Comme nous le savons,
l’empereur Héraclius 1, ayant rapporté la victoire sur Cosroe (Khorsro),
roi de Perse (7esièlce), reprit la vraie croix dont il s’était emparé
lors du pillage de Jérusalem. Pour la circonstance, une liturgie solennelle
eut lieu au cours de laquelle l’empereur lui-même voulut porter la relique
très précieuse jusqu’au Calvaire. L’Église nous invite donc à adorer
le mystère de la croix, symbole et instrument de notre rédemption. La
première lecture et l’Évangile nous présentent un symbole singulier,
celui du serpent élevé. Nous essaierons d’en décoder la valeur dans
les contextes historiques-bibliques respectifs en nous arrêtant en particulier
sur la relecture johannique.
Au cours de sa pénible marche à travers le désert, Israël est éprouvé
par le manque d’eau, de nourriture et de sécurité (Amalécites et serpents).
Lieu inhospitalier et inhabitable, le désert est une métaphore extraordinaire
de l’humain comme impossibilité à y être en vertu de lui-même (C. Di
Sante). L’homme dépend de Dieu qui prend soin de lui. C’est pourquoi,
le désert se présente aussi comme l’espace de la foi où l’homme (dont
Israël est l’image) apprend à s’abandonner et à se fier à Dieu. Mais
cela n’est ni simple ni immédiat; l’homme se révolte et arrive même
à déformer le visage de Dieu et son projet de salut (cf. Nb 21,4-6).
C’est pour cela qu’il expérimente la mort (serpents); une mort due à
l’incrédulité, au scepticisme, au manque d’espérance en Dieu aimablement
pourvoyeur et proche. C’est seulement en regardant le serpent élevé
qu’il est possible de trouver le salut. Cependant, ce regard n’a rien
de magique; il exprime la foi retrouvée, comme le souligne clairement
(Sg 16,7) : « En effet, quiconque se retournait était sauvé, non par
l’objet regardé, mais par toi le Sauveur de tous ». Mais un aspect nous
frappe. Nous savons comment Moïse a réagi fortement quand Israël a tenté
de représenter Dieu dans le veau d’or. Toutefois, étrangement, devant
une nouvelle protestation du peuple, il ne craint pas de faire un serpent
de bronze et de le dresser au sommet d’un mât. Si un veau était sorti
de la force d’Aaron, de celle de Moïse, il sort un serpent. Dans les
deux cas, il y a un démenti solennel du précepte du Décalogue de ne
pas faire d’images. Il est vrai que Moïse exécute un ordre divin, toutefois,
l’“étrangeté” demeure. Mais ce n’est pas tout. À ce poteau sacré, les
juifs continuèrent au cours des siècles à brûler de l’encens, à tel
point que le roi Ézéchias (8e siècle av. C.) le fit couper, et fit mettre
en pièces le serpent de bronze (cf. 2 R 18,4). Au-delà des lectures,
un fait demeure : l’idolâtrie est dure à déraciner et même les guides
les plus éclairés peuvent tomber dans des contradictions évidentes.
Dans le discours à Nicodème, Jésus parle avant tout d’une “nécessité”
(« il faut ») liée à une “élévation” (« il faut que le Fils de l’homme
soit élevé »). Qu’est-ce à dire? D’abord, que l’élévation s’enracine
dans la volonté de Dieu. C’est Dieu, le Père, qui élève le Fils. “Élévation”
veut dire “glorification”. Dans la mort sur la croix, Dieu glorifie
le Fils, manifestant en lui la plénitude de son amour pour le monde,
Alors, la croix n’est pas source de salut par son aspect sacrificiel;
pour les chrétiens, elle est source de vie en tant qu’expression ultime
et radicale de l’amour de Dieu. Dans le quatrième Évangile, nous avons
trois prédictions sur l’Élévation du Fils de l’homme (cf. Jn 3,14; 8,28;
12,32); trois prédictions qui correspondent aux trois prédictions de
la mort et de la résurrection de Jésus que nous trouvons dans les Synoptiques.
Mais il y a une différence; tandis que pour Jean, la croix est glorieuse
dès le début; pour les Synoptiques, elle ne l’est qu’à la fin. Du Fils
de l’homme élevé, nous obtenons la vie éternelle (cf. Jn 3,14), nous
parvenons à connaître sa divinité (cf. Jn 8,28) et nous sommes puissamment
attirés (cf. Jn 12,32). Mais l’amour de Dieu demande l’accueil à l’homme,
c’est pourquoi Jésus parle de la foi, de ceux qui croient en lui pour
avoir la vie. Croire en Jésus signifie adhérer personnellement à sa
personne, à ses paroles, au mystère de sa mort porteuse de salut. Un
dernier aspect. En mentionnant l’épisode du serpent, Jésus rappelle
à Nicodème un fait très important : certes, Israël est dans la terre
promise et pourtant, il vit encore l’expérience du désert avec ses menaces
de mort. Pour trouver le salut plein et durable, il importe donc de
naître, de renaître. Comment? En accueillant le salut en acte, Jésus,
le Fils de l’homme qui offre l’Esprit, principe de vie nouvelle.
Une dernière réflexion, récapitulative, même si elle n’est pas complète.
Nous avons vu que pour Jésus, la croix est une nécessité. Mais comment
comprendre cette nécessité? Bruno Maggioni a écrit : « La nécessité
de la croix est dans la liberté d’un choix de vie ». En quel sens? En
tant que Jésus a vécu la croix comme une cohérence et une fidélité nécessaires.
À qui? À quoi? À Dieu et à la vérité de Dieu. Jésus a voulu dire Dieu,
sa vérité, même au risque de sa propre vie, tout en sachant qu’il serait
condamné à mourir. C’est la première signification de la nécessité.
Mais nous en avons une autre. Jésus est aussi conscient d’un dessein
de Dieu; mieux, il sait que le Père veut sauver le monde pécheur non
pas de l’extérieur mais de l’intérieur. La croix exprime donc la solidarité
divine envers l’homme pécheur. Jésus s’approprie cette volonté qui est
une volonté d’amour jusqu’à la fin (cf. Jn 13,1). D’où une troisième
signification : la croix comme accomplissement. Jésus mourant affirmera
: « Tout est accompli » (Jn 19,30). En quel sens? Que la croix n’est
pas un moment singulier de la vie de Jésus; je m’explique, en mourant
sur la croix, Jésus n’a fait rien de plus que ce qu’il a toujours fait.
Il a vécu sa vie comme don, il a célébra sa mort comme don. Que la voie
embrassée par Jésus soit la bonne, sa résurrection le confirme. La croix
que nous vénérons aujourd’hui est donc une croix glorieuse. |