Voici
deux paraboles qui se suivent et ne se ressemblent pas ! Celle de l’invitation
au repas de noce et celle du renvoi de l’homme qui ne portait pas la
robe de noce. Certains pensent que ces deux paraboles n’étaient pas
liées à l’origine : il serait contradictoire d’exiger une tenue de cérémonie
de quelqu’un qu’on a ramassé sur la route ; mais si Matthieu les juxtapose
volontairement c’est qu’il y a un enseignement à tirer de ce rapprochement.
Prenons-les l’une après l’autre.
L’Alliance entre Dieu et l’humanité ressemble à des noces
« Un roi célébrait les noces de son fils »… et ce n’est pas n’importe
quel roi, puisque, d’entrée de jeu, nous sommes prévenus, il s’agit
du « Royaume des cieux » : cette seule expression nous suggère donc
irrésistiblement qu’il s’agit de l’Alliance entre Dieu et l’humanité,
Alliance qui s’accomplit en Jésus-Christ ; lui-même dans les évangiles
se présente comme l’époux. Et d’ailleurs le mot « noce » revient sept
fois dans cette parabole.
Cette symbolique des noces n’est pas très habituelle dans notre langage
chrétien aujourd’hui et pourtant c’est dans ces termes-là que les textes
tardifs de la Bible parlent du projet de Dieu sur l’humanité. Depuis
les dernières prophéties d’Isaïe jusqu’à l’Apocalypse, en passant par
le Cantique des Cantiques, et les livres de Sagesse, pour n’en citer
que quelques-uns, l’amour de Dieu pour l’humanité est décrit en termes
d’amour conjugal. Et c’est bien pour cela que Saint Paul dit que le
mariage est « la meilleure image de la relation de Dieu avec l’humanité
».
Le peuple juif premier invité
Mais dans l’Ancien Testament, il était clair que cette annonce et l’accomplissement
du salut universel de l’humanité passaient par Israël ; le peuple élu
était en mission pour toute l’humanité ; c’est dans ce sens qu’on a
appris à lire la phrase de Dieu à Abraham « en toi seront bénies toutes
les familles de la terre » (Gn 12, 3). Pour reprendre la comparaison
de la noce, on dira que les Juifs étaient les premiers invités à la
noce ; et le maître comptait sur eux pour élargir ensuite l’invitation
et faire entrer derrière eux toute l’humanité.
Mais on sait la suite : la grande majorité des Juifs a refusé de reconnaître
en Jésus le Messie. Dans la parabole, ils sont représentés par ces invités
qui refusent de venir à la noce et vont jusqu’à maltraiter les serviteurs
qui venaient les chercher. Que va-t-il se passer ? Dans la parabole,
les serviteurs remplissent la salle de convives invités à la dernière
minute. Dans la lettre aux Romains, Paul commente en disant que ce refus
d’Israël, non seulement ne va pas faire obstacle à la noce, mais va
même favoriser l’entrée de tous les peuples dans la salle du festin.
« Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils
rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle des noces fut
remplie de convives ».
La robe de noces
Passons à la deuxième parabole : un homme, invité de la dernière heure,
entre sans habit de noce ; il est bien incapable de répondre à la question
« Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?
» Alors il est chassé. Cela ne signifie certainement pas qu’il lui fallait
satisfaire à une exigence de comportement, que le vêtement de noce pourrait
symboliser un mérite quelconque… Dès qu’on parle de « mérite » on dénature
la grâce de Dieu, qui, par définition, est gratuite ! Avec Dieu, il
n’y a pas de conditions à remplir. La première parabole dit bien que
tous ont pu rentrer, les mauvais comme les bons.
Alors, que peut signifier cette deuxième parabole ? Regardons la multitude
qui entre dans la salle du festin des noces. Bons ou mauvais, tous ont
été invités, tous ont accepté et ont revêtu la robe nuptiale : dans
le vocabulaire du Nouveau Testament, on le sait, cette robe nuptiale,
c’est celle des baptisés ; nous savons bien que ce que nous appelons
aujourd’hui une « robe de baptême » est en réalité une « robe de mariée
» ! La deuxième parabole concerne donc les baptisés : ce sont eux qui
sont entrés dans la salle des noces. Mais l’habit ne fait pas le moine,
on le sait. Ce que Jésus rappelle ici, ce sont les exigences qui découlent
de notre Baptême. Comme il le dit lui-même « Il ne suffit pas de dire
: Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut
faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7, 22).
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Complément sur Mt 22
- Les premiers invités ayant décliné l’invitation, ce sont d’autres
qui sont entrés : historiquement, c’est ce qui s’est passé : dans les
Actes des Apôtres, on voit se répéter plusieurs fois le même scénario
: chaque fois qu’il aborde une nouvelle ville, Paul se rend d’abord
à la synagogue et commence par annoncer aux Juifs que Jésus est le Messie
attendu ; certains le croient et deviennent chrétiens ; mais quand le
succès de Paul commence à sortir des limites de la synagogue, et que
des païens deviennent chrétiens à leur tour, ceux des Juifs qui ne se
sont pas laissé convaincre prennent peur et chassent Paul. C’est exactement
ce qui s’est passé à Antioche de Pisidie : « C’est à vous d’abord que
devait être adressée la Parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et
que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous
nous tournons vers les païens. » (Ac 13, 46).
A Iconium, à Thessalonique, il s’est passé la même chose (Ac 14, 1)
; et c’est parce que les apôtres étaient chassés de ville en ville que
l’Evangile s’est répandu de ville en ville. Une des leçons de la première
parabole est alors que le refus d’Israël ne fait pas définitivement
obstacle au projet de Dieu. De la même manière que les prostituées et
les publicains ont pris la place des autorités religieuses du temps
de Jésus, de la même manière, quelques années plus tard, au moment où
Matthieu écrivait son Evangile, les païens sont entrés en masse dans
l’Eglise grâce au refus des Juifs. D’un mal Dieu fait toujours sortir
un bien.
Marie
Noël Thabut
Psaume
22 (23)
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