La justice nouvelle

16 février 2014 - 6e Dimanche du temps Ordinaire

 

Lectures bibliques
Si 15,16-21
Psaume 118,1-2.4-5.17-18.33-34

Heureux ceux qui marchent suivant la loi du Seigneur !
1 Co 2,6-10
Mt 5,17-37


    Après la proclamation des Béatitudes et l’invitation adressée aux disciples d’être le sel et la lumière du monde, Jésus nous porte au vif du Discours de la montagne où il relit d’abord le Décalogue. Le Décalogue n’est pas mentionné entièrement. En effet, Jésus opère une sélection à l’intérieur des Dix Paroles; il maintient seulement celles qui sont inhérentes au sang, au sexe et à la parole. Ensuite, il fait d’autres choix : la prohibition de l’adultère, le dépassement de la loi du talion et l’amour de l’ennemi. Ce dimanche-ci, nous verrons les quatre premières antithèses. Et dimanche prochain, les deux dernières.

    Venu non pas pour abolir mais pour accomplir

    Dieu a révélé sa volonté à travers la Loi et les prophètes. En se situant dans cet horizon historico-salvifique, Jésus affirme que le sens de sa venue est de porter cette révélation à son accomplissement. Par conséquent, rien de la Loi et des prophètes n’est rejeté, mais en même temps, rien n’est simplement confirmé dans sa forme précédente. Jésus accomplit pleinement la promesse divine (Loi); non seulement, à travers lui, Dieu manifeste comment les humains doivent se comporter (prophètes). Mais comment devons-nous comprendre l’affirmation de Jésus : « Je suis venu pour accomplir pleinement »? En quoi cet « accomplissement » consiste-t-il? Comme l’a écrit finement Paul Beauchamp (1924-2001), «accomplir» ne signifie pas donner davantage mais faire jusqu’au fond. Jésus ne dépasse pas le Décalogue mais, précisément, son degré d’accomplissement tel qu’il était mis en œuvre par les scribes et les pharisiens. Mieux, il met devant ses interlocuteurs l’Origine même du Décalogue. La « source de la Loi est plus que la Loi. Maintenant, Jésus se présente du côté de la source » (P. Beauchamp). Et comme nous l’avons compris, cette source, c’est Dieu.

    «Tu ne tueras pas» : la colère homicide

    … Nous savons que c’est mal que de tuer; en cela, Jésus ne dit rien de nouveau. Mais ce que Jésus veut souligner, c’est la racine de l’homicide, la haine : « Moi, je vous dis : quiconque se met en colère contre son frère… » (cf. Mt 5,22). La haine engendre la colère; la colère, l’offense, l’offense, le jugement. Cette triade (colère, offense, jugement) met en lumière la divergence qui peut naître avec le prochain. Selon la justice nouvelle inaugurée par Jésus, il faut sauver l’intégrité du rapport fraternel. Comment? Jésus l’explique avec deux récits. Le premier nous conduit dans le sanctuaire, à l’heure solennelle de l’offrande. Que se passe-t-il? La mémoire nous renvoie à un frère qui a de la rancune à notre égard. Attention ! Pas à un frère à qui pardonner mais de qui obtenir le pardon. Un autre aspect : Jésus ne dit pas si la plainte éventuelle du frère est juste ou erronée. Ce qui importe pour lui, c’est la réconciliation. Mais, remarquons aussi la forte détermination soulignée par l’adverbe : « Laisse-là, va d’abord ». Jésus bloque l’offrande. C’est ainsi qu’il met la réconciliation comme condition non négligeable pour le culte. Le deuxième récit a un climat moins fraternel et plus judiciaire. À qui revient le premier pas vers l’accord? Jésus ne répond pas, mais la paix devient urgente : « Accorde-toi vite... (Mt 5,25). Le motif? Le risque de se précipiter dans une ruineuse escalier descendante : de l’adversaire au juge, du juge au gardien, du gardien à la prison. Quoi faire? Pardonner gratuitement.

    «Tu ne commettras pas d’adultère» : le regard de la cupidité

    Il est écrit que l’homme convoite la femme pour diffuser l’espèce, tandis que la femme convoite l’homme le meilleur pour la choisir. Mais, pour l’Écriture, l’union conjugale ne suit pas ces dynamiques. Selon le dessein de Dieu, l’appartenance mutuelle de l’homme et de la femme fait des deux une seule chair (cf. Gn 2,24). C’est évident que l’amour, qui engendre la communion doit être gardé, autrement, la concupiscence qui habite le cœur humain altère sa beauté. Il ne faut pas oublier non plus que le Décalogue ne condamne pas seulement l’adultère mais toute altération dans le comportement interpersonnel. L’adultère est celui qui transgresse non seulement les règles matrimoniales mais celles de la bonne conduite aussi. Dans notre expérience quotidienne, nous constatons ensuite que l’œil observe et capture ce qui intéresse davantage notre cœur. L’œil regarde dans la direction du cœur. Encore une fois, Jésus va au centre et rend attentifs aux cupidités qui le conditionnent négativement. Quoi faire alors? Pour Jésus, il est préférable d’affronter les renoncements (s’arracher l’œil, se couper la main) plutôt que de commettre l’irréparable. Il faut maîtriser son propre cœur pour dominer ses propres actions.

    «Quiconque renvoie sa femme» : l’inviolabilité matrimoniale

    La législation juive permettait le divorce seulement au mari qui avait trouvé « quelque chose de honteux » chez sa femme (cf. Dt 24,1). Mais comment interpréter ce « quelque chose de honteux »? Il y avait deux écoles, celle de Shammai qui permettait le divorce seulement en raison de faits graves, et celle de Hillel qui le prévoyait aussi pour des motifs futiles. Jésus se place en-dehors de ces interprétations et, se référant à la volonté originaire de Dieu (cf. Mt 19,4-6), il exclut catégoriquement le divorce. Alors, comment interpréter l’affirmation : « Sauf en cas d’union illégitime » ? (Mt 5,32).Ce n’est pas simple. Cependant, une chose est certaine : avec Jésus, le régime du divorce est aboli. Matthieu atténue peut-être les tons pour des raisons pastorales en tant que la communauté avait de la difficulté à se situer dans ces horizons évangéliques (difficulté d’hier, difficulté d’aujourd’hui). Sur la base de ce pas, l’Église orientale permet un nouveau mariage mais en insistant toujours sur l’indissolubilité. Au contraire, l’Église latine a toujours conçu l’indissolubilité au sens strict. Oui, le mariage est indissoluble mais la communauté chrétienne doit se proposer la miséricorde comme norme première de son action pastorale. Et cela, comme son Seigneur qui a été miséricordieux envers elle, en premier et gratuitement.

    «Tu ne feras pas de faux serments» : l’usage de la parole

    Dans une culture comme la culture sémitique, la parole a une grande importance. Dans ce cas-ci, le Décalogue porte l’attention sur la parole corrompue. Mais, où la parole est corrompue, les rapports interpersonnels aussi seront corrompus. C’est pourquoi l’invitation de Jésus est claire : il ne faut pas jurer ni par le ciel (Dieu) ni sur sa propre tête (soi-même). Pourquoi? D’abord parce que le serment met en évidence une certaine méfiance entre les personnes. On doute de l’honnêteté et de la sincérité d’autrui, par conséquent, on se protège en interposant l’autorité divine peut-être. Non. Pour Jésus, il faut que la confiance et la loyauté règnent parmi les frères. D’autre part, il faut être franc, que ce soit un oui ou que ce soit un non. Ce qui est en plus vient du Mauvais. Le Mauvais est essentiellement le père du mensonge. Comme nous le savons, le mensonge a besoin de nombreuses paroles pour confondre et persuader.

    De l’écoute à la vie

    Plusieurs questions surgissent devant la page évangélique d’aujourd’hui. Pourquoi Jésus est-il si exigeant? Est-il possible de vivre ces enseignements jusqu’au fond? Les exigences du Discours de la montagne paraissent absolues et pratiquement illimitées. Que faire? Quelle attitude assumer? Laissons la parole au théologien J. Guillet : « Celui qui fait sien le principe de concéder une heure à la personne qui lui demande une demie heure, de se priver du nécessaire pour quiconque lui demande le superflu, s’apercevra bien vite qu’il ne s’appartient plus et qu’il est en train de se laisser dévorer. Mais ce n’est plus au nom d’une loi, d’une prescription intangible; cette personne se sent habitée par une exigence intérieure et elle sait qu’elle renoncerait à elle-même, si elle lui manquait. L’absolu du discours de la montagne est de telle sorte; il n’est pas fait de rigueur et d’intransigeance, d’une observance à maintenir à tout prix, mais d’un appel qui invite toujours au-delà et qui fait toujours un tout avec la personnalité la plus profonde. L’exigence la plus impérieuse finit par être celle de la liberté. En demandant de croire en un Dieu capable de transformer la vie, de faire naître un homme nouveau au sein de notre monde, le Discours de la montagne demande tout ».

    Alexandre C. osb

     

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