La
conclusion du Discours sur la Montagne souligne la valeur de la foi authentique
qui ne se mesure pas à l’enthousiasme charismatique de ceux qui affirment
: « Seigneur, Seigneur! » ni au pragmatisme religieux de ceux qui se vantent
d’annoncer le nom du Christ (prophétiser) ni à quiconque s’abandonne au
succès et au triomphalisme (chasser les démons et accomplir des miracles).
La foi authentique est fondée sur le Christ et sur sa Parole. Cette Parole
est la Parole immuable et éternelle de l’Évangile. Lorsqu’il est écouté
et vécu, il constitue la stabilité du chrétien dans les événements souvent
orageux de l’histoire. À ce sujet, Jean Chrysostome, qui a été exilé plusieurs
fois à cause de sa cohérence chrétienne, dit dans une de ses homélies
: « Compterai-je sur mes forces? Non, parce que j’ai sa Parole avec moi.
Elle est ma houlette, ma sécurité, mon port tranquille. Même si tout le
monde est bouleversé, j’ai son Écriture entre les mains, je lis sa Parole.
Elle me protège et me sauve ».
L’écoute
obéissante
Pour édifier sur le Christ et sa Parole, il importe de cultiver d’abord
la dimension de l’écoute. Jésus nous y exhorte : « Tout homme qui écoute
ce que je vous dis là … »
(Mt 7,24).
Remarquons que Jésus ne s’adresse pas à une catégorie spécifique de personnes.
C’est à tous qu’il propose son message de salut (quiconque). Mais l’écoute
dépasse de beaucoup la compréhension ou la simple perception acoustique.
Dans sa plénitude, l’écoute comporte une mise en pratique de la parole
entendue; ce n’est pas au hasard que Jésus complète son invitation en
ajoutant : « Tout homme qui écoute ma parole et la met en pratique ».
Ici, un binôme important est exprimé : écoute et obéissance. Il faut donc
se rappeler que l’obéissance n’est pas la simple exécution d’un ordre
mais la réponse de la libre responsabilité d’une personne à l’appel également
libre et gratuit de Dieu. De plus, elle n’a de sens et elle ne vit qu’à
l’intérieur du rapport (alliance) avec Dieu.
D. Bonhoeffer écrivait : « l’obéissance et la responsabilité s’interpénètrent
de sorte que la responsabilité ne commence pas là où l’obéissance finit;
elle s’effectue en son sein… Le motif fondamental de tout cela réside
dans le rapport des êtres humains avec Dieu, rapport réalisé dans le Christ
Jésus (alliance). Jésus est devant Dieu comme un être obéissant et libre.
En tant que fils obéissant, il accomplit la volonté du Père en suivant
la loi qui lui est imposée. En tant qu’homme libre, il adhère à cette
volonté par conviction intime, en toute confiance et avec un esprit joyeux.
Pour ainsi dire, il la re-crée en lui-même. Sans liberté, l’obéissance
est un esclavage, et la liberté sans obéissance signifie agir à notre
guise. L’obéissance engage la liberté, et la liberté ennoblit l’obéissance
».
Ainsi, l’écoute obéissante forme l’homme sage, capable de discernement
et comblé de la bénédiction de Dieu (cf. Dt 11,18.26-28.32, première lecture).
Jésus
et la Thora de Moïse
Le Discours sur la montagne qui nous a accompagnés au cours des premiers
dimanches de l’année est une relecture, du moins dans sa première partie
(Mt 5,21-48), du Décalogue ou Thora de Moïse. Après la proclamation des
Béatitudes (Mt 5,3-12) et l’invitation adressée aux disciples d’être le
sel de la terre et la lumière du monde, Jésus affirme clairement et sans
équivoque qu’il n’est pas venu pour abolir la Loi mais pour l’accomplir
(Mt 5,17-19). Puis, il relit le Décalogue, même si c’est d’une manière
sélective. De fait, il ne considère que trois des Dix Paroles du Décalogue;
celles qui concernent le sang répandu (tu ne tueras pas), le sexe (tu
ne commettras pas l’adultère), la parole (tu ne feras pas de faux serments).
Les trois autres (renvoi de la femme, loi du talion, amour du prochain
et haine de l’ennemi) viennent de la Thora, oui, mais pas de son centre,
du Décalogue. Notons combien Jésus a à cœur la vie des hommes dans toutes
ses expressions. Concernant le « vous avez compris… » de la Loi, il fait
entendre son « mais moi, je vous dis…».
Nous sommes devant deux énoncés d’autorité; cependant le deuxième ne contredit
pas le premier. Nous l’avons déjà rappelé : Jésus ne vient pas abolir.
Et pourtant, c’est ce que l’on croyait (« Ne croyez pas… »). Pour quelques-uns,
Jésus inaugurait une rupture définitive avec ce qui le précédait; pour
d’autres, au contraire, il renversait la Loi transmise. Ces deux interprétations
sont fausses et ne respectent en rien le dessein de la révélation.
Qu’est-ce que Jésus veut dire exactement avec ce « mais moi, je vous dis?
». Paul Beauchamp, exégète français, nous illumine beaucoup lorsqu’il
écrit : « Si un prophète situait sa voix au niveau du Décalogue, ce serait
quelque chose de bouleversant parce que ce prophète contredirait le Décalogue.
Les foules comprennent et expriment cela avec un mot très simple : “autorité”
qui suffit pour distinguer l’enseignement de Jésus de celui des scribes…
Avec ces paroles, Jésus fait plus que encourager à une forme insurpassable
de fidélité à la Loi : il assume la force de la Loi dans sa personne…
Jésus reprend la Loi à partir des racines, il l’approfondit, mais il la
fait reposer sur son autorité, sans oublier qu’elle est la volonté de
“mon Père” (7,21). C’est en cela que consiste sa révolution ».
S’il comprend cela, le disciple peut édifier solidement sa maison, sûr
que rien ne pourra jamais l’ébranler. Et si la fureur des vents devait,
même un instant, décourager ou effrayer, faisons nôtre la prière de L.
Épinal, jésuite : « Seigneur, entraîne-nous à nous lancer dans l’impossible
car, dans l’impossible, nous trouvons ta grâce et ta présence; nous ne
pouvons pas tomber dans le vide. Le futur est une énigme, notre chemin
avance dans le brouillard, mais nous voulons continuer à nous donner,
à Te dire : Me voici, car les yeux débordant de larmes, Tu attends dans
la nuit ».
Alexandre C. osb
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