MORT ET RESSUSCITÉ

La Semaine Sainte commence avec le dimanche de la Passion; elle atteindra son sommet dans la solennelle Veillée pascale. Le fil conducteur de ces journées, c’est la Résurrection de Jésus qui illumine toute sa souffrance injuste et tout son amour infini. Cette lumière est aussi le fondement solide de notre foi (cf. 1 Co 15,14) et de notre espérance (cf. 1 Co 15,19-20). Dans la prière (collecte) du dimanche de la Passion, notre mère l’Église, qui connaît bien notre désir authentique de suivre le Christ ainsi que toute notre faiblesse, nous fait prier : « Dieu éternel et tout-puissant, pour montrer au genre humain quel abaissement il doit imiter, tu as voulu que notre Sauveur, dans un corps semblable au nôtre, subisse la mort de la croix : accorde-nous la grâce de retenir les enseignements de sa passion et d’avoir part à sa résurrection ». D’une part, nous avons l’éternité de Dieu et l’éternité que l’homme désire; de l’autre, nous trouvons l’immense Passion du Père qui n’épargne pas son propre Fils; celle du Fils qui n’hésite pas à s’offrir en victime innocente pour notre salut et celle de la création qui sent le besoin d’être régénérée à une vie nouvelle. Ce grand mystère doit toujours être présent à nos yeux et à notre cœur pour pouvoir mourir et ressusciter avec le Christ comme membres de son Corps glorieux.

L’HEURE DU SERVITEUR
13 avril 2014 - Dimanche de la PASSION

Lectures bibliques
IS 50,4-7;
Psaume 21,8-9.17-20.23-24

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?

Ph 2,6-11;
Mt 26,14-27,66

La Passion de Jésus

 

Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme
qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour
réconforter celui qui n’en peut plus.
La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille
pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire.
Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille et moi,
je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats.
Le Seigneur Dieu vient à mon secours:
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre:
je sais que je ne serai pas confondu. 

 

Le dimanche de la Passion ou des Rameaux est marqué par l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem (cf. Mt 21,9). C’est un moment de triomphe en même temps que le prélude de l’humiliation de la croix. La liturgie du jour le souligne bien lorsqu‘après la joyeuse procession avec les branches de palmier et d’olivier, elle nous conduit devant le mystérieux Serviteur du Seigneur (cf. première lecture) que la communauté chrétienne identifie à Jésus. Après cette contemplation douloureuse mêlée d’espérance, Paul nous invite à avoir les mêmes sentiments qui sont dans le Christ (cf. deuxième lecture).

Nous nous arrêterons seulement à quelques scènes de la Passion en suggérant de petites annotations qui facilitent l’écoute personnelle et communautaire.

Le destin du Fils de l’homme (Mt 26,14-16)

Dans la Passion selon Matthieu, qui doit beaucoup à celle de Marc, Jésus est constamment au centre de l’action. Jésus est le parfait obéissant qui, sans délais ou hésitations, adhère au dessein de Dieu : « Vous le savez, dans deux jours, c’est la Pâque : le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié » (Mt 26,2). À partir de ce moment précis, tous les événements successifs sont liés à cette prophétie : de la conspiration des autorités jusqu’à l’onction à Béthanie, à la trahison de Judas, jusqu’à la mort sur la croix. Si Jésus avait annoncé qu’il serait livré, c’est Judas qui en sera l’exécuteur matériel. En décrivant la trahison de Judas, Matthieu renvoie ses électeurs à deux citations des Écritures : à Zacharie 11,12-13 (plus explicite) qui présente les trente deniers comme un prix dérisoire avec lequel Israël paie le pasteur que Dieu lui envoie; au livre de l’Exode 21,32 où le même montant correspond à la valeur d’un esclave ou d’un âne. Judas se débarrasse de Jésus comme d’un esclave dont on n’a plus besoin; cependant, en réalité, c’est lui le véritable esclave : l’argent le domine et il obéit à la cupidité. Mais pourquoi a-t-il trahi Jésus? Membre du mouvement des zélotes, adversaires acharnés des Romains, Judas est un disciple déçu par le pacifisme du Maître de Nazareth. De plus, il voit que la situation du groupe apostolique s’aggrave continuellement et il en tire toutes les conséquences.

L’heure de l’institution eucharistique (Mt 26,26-30)

Après avoir porté notre attention sur Judas, le traître, nous entrons dans le cénacle où Jésus institue l’Eucharistie. Jésus prononce quelques paroles sur le pain, sur la coupe, puis il parle du «fruit de la vigne». La fraction du pain était un rituel du repas juif. Le père de famille prenait le pain, le rompait et le distribuait. Par ce geste, il voulait affirmer que le pain est un don de Dieu qui fait vivre en même temps qu’il alimente l’unité familiale. À présent, Jésus affirme que sa personne (mon corps) est un don qui confère la vie et l’unité. C’est pourquoi il invite à manger, c’est-à-dire à assimiler sa personne (et le mystère de mort et résurrection). Par ces paroles, Jésus interprète également sa Passion et il l’interprète non pas comme une fin mais comme une offrande qui fait vivre. Jésus prend aussi la coupe et fait monter son action de grâces vers Dieu. Cependant, cette coupe est celle de «son sang». L’expression vient du chapitre 14,8 de l’Exode où, avec l’aspersion du sang, Moïse scelle l’Alliance avec Dieu. Jésus, le vrai Moïse, inaugure ainsi l’Alliance nouvelle et éternelle dans son sang. Enfin, avec l’image du fruit de la vigne, Jésus fait allusion à sa résurrection future.

L’heure de Gethsémani (Mt 26,36-46)

À Gethsémani, Jésus soutient un double combat dans la prière. En premier lieu, Jésus lutte intérieurement pour s’enraciner dans la volonté du Père et il lutte contre la faiblesse de ses disciples qui sont incapables de veiller avec lui. Mais, comme nous le disions, il le fait dans l’espace de la communion avec Dieu. En effet, par trois fois, Matthieu rapporte que Jésus prie et prie afin que Dieu lui épargne le calice de la Passion. La première fois, il tombe la face contre terre, position de soumission à Dieu (v. 39). La même scène se répète aux versets 42-43. Jésus montre de nouveau qu’il accepte sa mort selon la volonté mystérieuse du Père. La troisième fois (versets 44-46), il présente la même scène, mais reliée à l’arrestation. Jésus est fermement décidé à vivre son heure jusqu’à la fin. Gethsémani nous révèle que Jésus n’est pas allé vers la Passion en héros ni en déçu sage. Il a senti toute l’horreur et la peur de son destin; il a lutté entre l’ardeur de l’esprit et la faiblesse de la chair mais il a cru au Père jusqu’à pouvoir s’unir à Sa volonté en toute confiance.

L’heure du jugement (Mt 26,57-67)

Jésus est conduit devant les tribunaux humains. Matthieu nous offre immédiatement la clé de compréhension de tout le procès intenté contre le Maître. Il écrit : « Les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire condamner à mort » (Mt 26,59). Le procès n’est rien d’autre qu’une blague, une caricature, un outrage voulu et conscient à la vérité. Lorsque Matthieu nous parle de faux témoignage, il nous renvoie à ce que Jésus avait dit un jour à ses disciples : « du cœur en effet proviennent intentions mauvaises, meurtres, adultères, inconduites, vols, faux témoignages, injures » (15,19). Attentive aux moindres préceptes de la Loi, l’autorité, n’est pas attentive au cœur, là où les intérêts et les esclavages sont conçus, où la fausseté et le mensonge peuvent être préférés (même avec des argumentations savantes et habiles) à la vérité et à la lumière évangélique. Mais ce n’est certes pas l’autorité humaine qui juge Jésus; c’est lui, le juge eschatologique (v. 64) qui, à la fin des temps, jugera les hommes et ceux qui l’ont condamné.

L’heure de la mort (Mt 27,45-56)

De midi jusqu’à trois heures de l’après-midi, tandis que Jésus est sur la croix, la noirceur descend sur toute la terre. Avec la mort du Messie, le jour annoncé par Amos (8,9) s’accomplit. Les ténèbres affirment la proximité de Dieu à son Christ, celle du Père à son Fils bien-aimé. Dans l’Écriture, Dieu se révèle dans les ténèbres (cf. Ex 20,21). Dieu est donc sur le Calvaire, avec son Fils; mais il est là de manière silencieuse, à tel point que Jésus crie son abandon. Ce n’est pas le cri du désespéré mais le cri de quiconque confesse sa foi en Celui qui est la seule espérance véritable. Nous ne pouvons pas savoir pourquoi Jésus fait l’expérience de cet abandon. C’est un fait, cependant, que Jésus boit jusqu’à la lie la coupe amère du péché, en éprouvant en lui l’enfer de la séparation de Dieu. Mais si Dieu abandonne le Fils, le Fils n’abandonne pas Dieu, son Père, en criant vers Lui avec le peu de force qui le soutient encore, le début du Psaume 21. Dieu entend cette plainte. Les signes qui suivent la mort de Jésus en font foi : le tremblement de terre (dans les apocalypses, il annonce l’intervention de Dieu), l’ouverture des tombeaux selon la promesse d’Ézéchiel 37,1-14, et les saints qui ressuscitent. Ce dernier signe est aussi le dévoilement du sens du sacrifice de Jésus qui permet aux hommes d’être soustraits à la domination de la mort.

Alexandre C. osb

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